Photographie, arme de classe et Une avant-garde polonaise au Centre Pompidou

Le Centre Pompidou présente actuellement deux expositions qui témoignent chacune de l’engagement artistique et politique. Elles retiennent notre attention pour leur intérêt historique et l’émotion esthétique qu’elles procurent. Il s’agit de Photographie, arme de classe et d’Une avant-garde polonaise.

WILLY RONIS Prise de parole aux usines Citroën – Javel, 1938 © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bertrand Prévost/Dist. RMN-GP© RMN – Gestion droit d’auteur Willy Ronis

Le titre de la première, Photographie arme de classe est emprunté à un texte d’Henri Tracol, publié en 1933 dans Cahier Rouge, l’un des organes de l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires. La mission de l’AEAR, fondée à Moscou en 1927 et en France en 1932 par Paul Vaillant-Couturier, Léon Moussinac et Louis Aragon, est de réunir, en un même groupe, les différents courants culturels qui, en France, questionnent les rapports de l’engagement révolutionnaire avec la culture. Une sorte de front social. Cette association se développe dans un contexte social et politique très tendu, dans cette période de l’entre-deux-guerres, où la crise économique post 1929, la montée du chômage et des inégalités sociales, les crispations xénophobes liées à la montée du fascisme, sont autant de motifs d’engagements pour les militants de gauche qui sont alors principalement regroupés dans le sillage du Parti Communiste.

Ainsi l’AEAR voit naître une chorale, rebaptisée en 1935 « Chorale Populaire de Paris », nombre de troupes de théâtre amateur, dont le Groupe Octobre en sera le fleuron, une section littéraire, des expositions (Le Salon des peintres révolutionnaires en  1934) et une section photographique.

JACQUES-ANDRÉ BOIffARD Chaussure et pied nu, vers 1929 © Centre Pompidou, MNAM-CCI/ Philippe Migeat/Dist. RMN-GP © Mme Denise Boiffard

A travers une sélection opérée au sein des collections photographiques du Centre Pompidou, au fil d’une centaine d’œuvres et d’une quarantaine de documents, organisés par section thématiques ou en séries formelles, l’exposition propose de mettre en lumière le « véritable laboratoire du regard social et engagé » qui se développe en France à la lisière du Front Populaire et de la Guerre d’Espagne. Nous croisons les plus grands noms de la photographie moderne tels Willy Ronis, Eli Lotar, Robert Doisneau, Nora Dumas, Henri Cartier-Bresson, Germaine Krull, Gisèle Freund, Lisette Model mais aussi Pierre Jamet, Jacques-André Boiffard, Claude Cahun, André Steiner, Dora Maar, André Kertez ou François Kollar. 

L’ensemble des images exposées, dont l’intensité du noir et blanc renforce les sujets traités pour mieux les dénoncer, témoigne de la misère des taudis, des clochards, des pauvres à l’Armée du Salut, des ouvriers en lutte, du colonialisme, de l’attitude de la police…. Les photos sont là aussi pour magnifier le sport, les auberges de Jeunesse…  

Entraînement, milieu des années 1930
Collection privée © Adagp, Paris 2018

Nous sommes saisis par l’utilisation très novatrice du photomontage, mentionné dans le manifeste de l’AEAR de 1932 comme « l’une des nouvelles formes d’expression pour un art de masse révolutionnaire, au côtés  du théâtre ouvrier, du cinéma et de la radio ». L’architecte et décoratrice Charlotte Perriand, qui sera proche de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret, influencée par la lecture de revues soviétiques, présente en 1936, à l’occasion de l’Exposition de l’habitation au Salon des arts ménagers,  son photomontage La Grande misère de Paris qui contraste alors avec la vision commerciale du Salon ! Le photomontage est aussi très présent dans le graphisme et les articles des revues communistes, dont Regards, Communiste ou VU.  Il est frappant d’y retrouver les signatures de personnalités liées au Groupe Octobre, tels le comédien Fabien Loris, le metteur en scène Lou Tchimoukov (Louis Bonin) ou l’architecte Robert Pontabry. Ils forment avec d’autres, ce qui est décrit dans le catalogue de l’exposition comme « la scène culturelle rouge », dont l’une des caractéristiques est cette formidable polyvalence des artistes, qui trouvent à travers le théâtre, la photo, le dessin, le graphisme, l’architecture, les décors, les costumes, les collages, voire l’écriture ou le cinéma, autant d’outils artistiques que nécessaires pour exprimer leurs engagements. La bande son diffusée dans l’exposition, reprenant des choeurs parlés du metteur en scène Lou Tchimoukov témoigne de la force du spectacle vivant à cette période.

RÉ SOUPAULT Délégation de grévistes à la fête de la victoire du Front Populaire, le 14 juin 1936 © Centre Pompidou, MNAM-CCI/ Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP © Adagp, Paris 2018

Cette exposition est importante à double titre. Elle est, d’une part,une source d’archives très précieuse sur une période décisive des luttes sociales en France et constitue sur ce point un document irremplaçable. Elle offre d’autre part, un témoignage superbe de la photographie humaniste  française.

Cette première exposition étant d’une taille raisonnable on peut agréablement monter jusqu’au niveau 4 pour découvrir Une avant garde polonaise et plus particulièrement le travail de deux artistes, Katarzyna Kobro (1898-1951) et Wladyslaw Strzeminski(1898-1951) .

Il existe quelques parentés entre les deux expositions : l’art comme outil d’engagement politique, l’exploration de plusieurs supports artistiques, la période de l’entre-deux-guerres pour partie. Mais les parallèles s’arrêtent là.

 Katarzyna Kobro Construction suspendue 1921 / 1972Muzeum Sztuki, Lodz©Muzeum Sztuki, Lodz & Ewa Sapka-Pawliczak

Katarzyna Kobro est sculptrice, russe, d’origine allemande. Wladyslaw Strzeminski est peintre, polonais, né à Minsk. Ils se sont rencontrés aux temps troublés de la Révolution d’Octobre, à Moscou, en 1918. Couple à la ville, ils ont mené la plupart de leurs pratiques artistiques dans une réflexion formelle commune. Ils sont liés aux artistes constructivistes, El Lissitzky, Antoine Pevsner et Kasimir Malevitch.

 Wladyslaw Strzeminski Composition architectonique Muzeum Sztuki, Lodz©Muzeum Sztuki, Lodz & Ewa Sapka-Pawliczak

A partir de 1921, à leur arrivée en Pologne alors en reconstruction, ils mettent au point un système artistique « basé sur le principe d’unité, de pureté du matériau et de la mise en espace », intitulé « l’unisme ». Cette démarche, comme les suivantes, est emprunte d’exigence politique. L’unité organique des éléments leur sert de modèle pour une nouvelle organisation de la société, qui, sans détruire l’ordre ancien doit « créer des alternatives ». Ils entreprennent de multiples actions dont l’enseignement, l’organisation d’expositions et la constitution d’une collection d’art moderne international pour la ville de Lodz. Les oeuvres de cette période présentées dans l’expositions sont époustouflantes, tant les toiles de Wladyslaw Strzeminski (ses Compositions architectoniques) que les oeuvres de Korbo. Leurs forces novatrices, voire pionnières, donnent tout son sens à la notion d’avant garde qu’ils représentent. La radicalité des constructions géométriques de Korbo la place parmi les sculptrices les plus importantes de la première moitié de XXeme siècle. Les peintures abstraites de Strzeminski–les reliefs, les Compositions architecturales ou Compositions unistes, sont des propositions uniques dans ce domaine.

Katarzyna Kobro, Nu, 1925 – 1927, Muzeum Sztuki, Lodz©Muzeum Sztuki, Lodz & Ewa Sapka-Pawliczak

Le style des deux artistes va changer dans les années 30. Kobro se tourne vers le figuratif schématisé. Wladyslaw Strzeminski introduit la « ligne organique » qui marquera de nombreux dessins et s’appliquera à une série particulièrement saisissante, A mes amis les Juifs, traitant de l’extermination des Juifs polonais. Il développera ensuite une Théorie de la vision, qui correspond à sa version de l’histoire de l’art analysée du point de vue de l’évolution de la conscience visuelle. 

Wladyslaw Strzeminski, Sur le trottoir de la série Les Déportations1940, Muzeum Sztuki, Lodz©Muzeum Sztuki, Lodz & Ewa Sapka-Pawliczak

L’utopie du couple va malheureusement, après guerre, virer au drame. Wladyslaw Strzeminski est marginalisé, écarté de la vie politique et privée par le régime socialiste polonais jusqu’à sa mort en 1952. Quand à Katarzyna Kobro, sa séparation d’avec Strzeminski, sa vie précaire et la maladie mettent un terme à sa carrière en 1948.

Cette exposition permet la découverte de deux artistes, couple moderne, artistes révolutionnaires et membres majeurs de l’avant-garde artistique polonaise du XXème siècle.

Photographie arme de classe, La photographie sociale et documentaire en France, 1928-1936, Centre Pompidou, jusqu’au 4 février 2019, Galeries des photographies, niveau -1, entrée libre.

Le catalogue de l’exposition, co-édité par le Centre Pompidou et Textuel est très réussi. Outre l’ensemble du corpus des photos reproduites, Il offre nombre d’analyses qui complètent formidablement l’exposition.

Une avant-garde polonaise, Katarzyna Kobro et Wladyslaw Strzeminski
Centre Pompidou, jusqu’au 14 janvier 2019, Galerie du Musée et galerie d’art graphique, niveau 4

LES CONTES CRUELS DE PAULA REGO

La fête, 2003© Copyright Paula Rego

A l’heure où Paris offre au public un programme d’expositions impressionnant, où rivalisent des artistes majeurs tels Picasso à Orsay, Miro au Grand Palais, Basquiat et Egon Schiele à la Fondation Vuitton, Le Caravage à Jaquemart-André, Giacometti chez Dina Vierny, il est tout aussi réjouissant d’aller à la rencontre d’oeuvres ou d’artistes dont la renommée n’était pas encore parvenue jusqu’à soi.

C’est ce que nous propose le Musée de l’Orangerie et sa nouvelle directrice Cécile Debray en consacrant, jusqu’au 14 janvier, la première grande exposition en France à Paula Rego, artiste très reconnue au Portugal, où elle est née en 1935, et en Grande-Bretagne où elle vit depuis plus de cinquante ans.

On entre de plain-pied dans l’univers de l’artiste et c’est un choc.

Snare, 1987 © Paula Rego

L’enfance, l’animal et le conte sont au centre de la soixantaine d’oeuvres exposées, dans lesquelles le réalisme et le fantastique se confrontent sans cesse. 

Formée à Slade School of Arts de Londres où elle a côtoyé Francis Bacon, Lucian Freud ou David Hockney,  femme artiste de l’École de Londres,  Paula Rego séduit et dérange à la fois.

Paula Rego-©Gautier Deblonde.

« Mes sujets favoris sont les jeux de pouvoir et les hiérarchies. Je veux toujours tout changer, chambouler l’ordre établi, remplacer les héroïnes et les idiots ».

Sculptrice et pastelliste, elle s’est plongée, en 1975, dans l’étude des contes et de leurs illustrations au Bristish Museum et à la Bristish Library de Londres. Les dessins Maxfield Parrish, de Benjamin Rabier ou de Grandville vont influencer son travail. 

Little Miss Muffet I, 1989 © Copyright Paula Rego

Si  le conte, les histoires, le jeu se retrouvent au cœur de nombre de ses toiles ou de ses sculptures, telle la série Filles et chiens ou les magnifiques gravures qui illustrent les comptines Nursery Rhymes, la figure enfantine n’y est jamais tout à fait naïve ou innocente. L’artiste occupe t elle la place de l’enfant ? Ainsi hommes, femmes, enfants et animaux se prêtent à des jeux cruels, pervers, inquiétants….

La satire sociale traverse également les histoires de Paula, en témoigne cette représentation énigmatique des Bonnes de Jean Genêt, étrange toile où l’érotisme se mêle aux accusations sociales et politiques.

The Maids, 1987 © Copyright Paula Rego

Les sources et les influences de Paula Rego sont multiples. Autobiographiques pour une part : elle inclut sa propre famille dans ses récits,  en évoquant  frontalement ou de manière détournée la maladie de son mari, en rappellant la figure douce de son père (le triptyque  des Pillowman est incroyable), et en pratiquant régulièrement l’autoportrait. Littéraires ensuite : elle connait les ouvrages de Lewis Caroll, de la Comtesse de Segur, les personnages de Peter Pan ou de Pinocchio (son portrait de de Gepetto sous les traits de son gendre est saisissant). Elle aime Emily Brontë et Jean Rhys. Influences artistiques bien sûr : le réalisme de ses toiles, de ses gravures ou de ses sculptures est empreint du regard porté sur Balthus, Degas, James Ensor, Goya, Gustave Doré, Granville, Odilon Redon ou  Benjamin Rabier. Le parcours de l’exposition est du reste judicieusement jalonné d’oeuvres de ces artistes en contrepoint de celles de Paula Rego.

Dancing Ostriches from Disney’s Fantasia (Triptich, left panel), 1995
© Copyright Paula Reg

Inquiétante et dominante, artiste et animale, la femme est omniprésente dans le travail de l’artiste. « Dog Women » (Femmes-chien) en 1994 ou Dancing Ostriches, en 1995, où des autruches danseuses sont réincarnées en femmes, précèdent cette figure toute puissante de la femme peintre (The Balzac story, 2011), victime et manipulatrice, qui n’a pas besoin de modèle puisqu’elle fait son autoportrait. Lorsqu’il y a modèle, c’est un homme que le (la) peintre brutalise !

The Balzac story, 2011© Copyright Paula Rego

Nous sortons de cette visite ébranlée par la force de ce travail complexe et magnifique. Difficile de qualifier une oeuvre si singulière qui, d’un même regard, provoque malaise et attachement, évoque poésie et réalisme cru, héroïsme et trivialité, suggère folie et tendresse. La réalité baroque et ambigüe de Paula Rego transforme notre regard à la mesure de sa représentation de l’humain et de l’animal, dans une magie et une inquiétante étrangeté. Une révélation.

Jusqu’au 14 janvier 2019

Musée de l’Orangerie
1 Place de la Concorde – Jardin des Tuileries (côté Seine) 75001 Paris

musee-orangerie.fr

En réalités, dernières dates dans la région parisienne

En réalités d’après La Misère du monde de Pierre Bourdieu

Mise en scène Alice Vannier  Cie Courir à la Catastrophe

Prix du Jury et Prix du Public Prix13/Jeune metteur en scène 2018

Le 18 décembre au Théâtre Victor Hugo à Bagneux

Le 19 décembre au Théâtre Jacques Carat à Cachan

Et le 12 janvier à la MTD d’Epinay-sur-Seine

Avec Anna Bouguereau, Margaux Grilleau, Thomas Mallen, Hector Manuel -en alternance avec Vincent Steinbach-, Sacha Ribeiro, Judith Zins

Scénographie Camille Davy

Lumières Clément Soumy

Assistante à la mise en scène Marie Menechi

Adaptation Marie Menechi et Alice Vannier

Production: Courir à la Catastrophe

Coproduction : Théâtre 13, Théâtre des Clochards Célestes 

Avec la participation artistique de l'ENSATT et le soutien de l'Opéra de Massy et d'Arcadi Ile-de-France

1h30 sans entracte, à partir de 12 ans

Prochaines dates: 

- du 6 au 15 février 2019 au Théâtre des Clochards Célestes de Lyon

- Festival Théâtre en mai de Dijon

Plus d'informations sur les sites  : 

http://www.theatrejacquescarat.fr/en-realites/

http://www.bagneux92.fr/agenda/agenda-culture/68-en-realites-cie-courir-a-la-catastrophe

http://www.epinay-sur-seine.fr/plaquette_saisonculturelle_2018_2019.pdf
Pourquoi les gens font ce qu’ils font ?

Comment la société, les institutions, les médias déterminent-t-ils nos comportements et notre vision du monde ?

Comment l’individu existe-t-il au milieu de ces déterminations sociales si puissantes ? 

Ces questions qui se posaient dans les années 1990, années de naissances des six comédien·nes au plateau, semblent être toujours aussi actuelles. Comment s’en emparer au mieux et se confronter à nos réalités sinon en essayant de comprendre l’état du monde dans lequel nous sommes arrivés? 

En réalités est une mise en résonances de visions multiples de la réalité à travers plusieurs entretiens et un groupe de sociologues au travail. En réalités confronte la difficulté de vivre la misère contemporaine à la difficulté d'en parler : en passant par le prisme de celui qui la vit, par celui du champs journalistique, par l’analyse sociologique et par une tentative artistique. 

« Ce que le monde social a fait, le monde social peut, armé de ce savoir, le défaire.»  Pierre Bourdieu
Direction artistique:

Sacha RIBEIRO   06 33 58 09 28 

Alice VANNIER   06 75 12 57 22 

Administratrice:

Caroline MAZEAUD  06 89 96 68 13 

Coups de coeur d’automne


Quartier de Byker, Newcastle upon Tyne, Royaume-Uni, 1977© Martine Franck / Magnum Photos


Courez à la Fondation Henri Cartier Bresson toute nouvellement installée dans une cour redécouverte du Marais, au 79 rue des Archives. Cette nouvelle adresse dédiée à la photographie offre à la Fondation des espaces d’expositions mieux adaptés, plus vastes que ceux de l’Impasse Lebouis dans le  XIVème  arrondissement,  permettant de surcroit la conservation et la consultation des archives sur place. La Fondation HCB new look se devait, pour son exposition inaugurale, d’ouvrir ses salles au travail de Martine Franck, qui fut de 1970 à sa mort, en 2012, l’épouse d’Henri Cartier-Bresson. C’est elle qui a initié la Fondation HCB en 2003 avec la complicité de son époux et de leur fille Mélanie et a souhaité son développement dans de nouveaux locaux. C’est donc tout naturellement qu’Agnès Sire, directrice historique de la Fondation et aujourd’hui sa directrice artistique -elle a passé le flambeau de la direction de la maison à François Hébel- a conçu cette belle exposition rétrospective et la monographie qui l’accompagne (aux éditions Xavier Baral). L’ensemble avait été entrepris en 2011 avec Martine Franck elle même.

Le parcours dans l’oeuvre de la photographe restitue son merveilleux talent de portraitiste d’une part et de reporter d’autre part. Elle a aimé photographié des anonymes mais aussi des écrivains et les intellectuels  (parmi eux Albert  Cohen, Hervé Guibert, Yves Bonnefoy, Michel Leiris, Michel Foucault, Lili Brik…), des artistes (Henry Moore, Ousmane Sow, Balthus, Léonor Fini et son chat, Diego Giacometti…), des acteurs, réalisateurs ou metteurs en scène (Agnès Varda, Charles Denner, Ariane Mnouchkine, les acteurs du Théâtre du Soleil qu’elle a connu dès les débuts de la troupe…). Elle nous offre également de très beaux portraits de photographes : Henri Cartier-Bresson, tout d’abord, dont les portraits sont rares, mais aussi Saul Leiter, Sarah Moon, Bill Brandt, David Goldblatt… Enfin, nous sommes saisis par la beauté et la force des paysages qu’elle photographie au gré de ses voyages, en Irlande, en Angleterre, en France, en Inde, au Tibet, en Chine ou au Japon. Pour elle, selon Agnès Sire, « photographier le paysage fut un art de l’enracinement, un exercice de méditation, loin des approches topographiques systématiques, une pratique de la forme et de la lumière ». Un enchantement….

La comédie musicale est à l’honneur en cette période de fin d’année.
La Philarmonie de Paris lui consacre une grande exposition jusqu’au 27 janvier et plusieurs ouvrages paraissent simultanément.

Celui qui retient notre attention est le Dictionnaire de la Comédie Musicale d’Isabelle Wolgust. L’auteur propose une plongée dans le genre, de A à Z, comme tout dictionnaire, mais sa spécificité tient à ses choix subjectifs et à sa richesse documentaire. Isabelle Wolgust nous prévient dès l’avant propos : elle est résolument « du côté des comédies musicales qui dansent », s’efforçant toutefois de tendre à l’exhaustivité. Elle s’intéresse majoritairement aux comédies musicales américaines mais pas uniquement puisque des réalisateurs comme Jacques Demy ou Christophe Honoré sont présents, tout comme Chantal Akerman; elle consacre par ailleurs tout un chapitre aux relations compliquées de la comédie musicale avec le cinéma français.  

Les implications de l’ouvrage sont à la fois historiques (présenter au moins un film par décennie), économiques (le rôle dominant des studios, la place du cinéma dit « indépendant ») et sociaux (quel miroir social tend telle comédie musicale ?). Les dossiers de fond sont passionnants, en particulier ceux consacrés à la thématique queer et la place de l’homosexualité ou encore à l’influence de l’immigration juive dans la comédie musicale. Isabelle Wolgust nous montre comment les communautés juives immigrés aux Etats Unis depuis 1840 influenceront considérablement le cinéma en général et la comédie musicale en particulier, que ce soient les scénaristes (le duo Betty Comden et Adolph Green pour Singin’ in the Rain ou Beau fixe sur New York, Ernest Lehmanpour La Mélodie du Bonheur, West Side Story ou Hello Dolly !, Allan Jay Lerner pour Un Américain à Paris… ), les réalisateurs ( Billy Wilder, qui écrira quelques comédies musicales pour les autres), les acteurs (Sophie Tucker, Fanny Brice puis Barbra Streisand…) et bien sûr les traditions musicales comme le klezmer et nombre de compositeurs dont Georges et Ira Gershwin, Irving Berling ou Léonard Bernstein.

Demi-Veronique1© Jean-Louis Fernandez.

Vous avez encore quelques jours pour assister au spectacle tellement fort et singulier de Jeanne Candel, Demi-Véronique, à l’affiche du Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 17 novembre. Sur scène pendant une heure dix, Lionel Dray, Caroline Darchen et Jeanne Candel proposent «une épopée musicale et théâtrale dans un univers calciné, une maison ravagée par le feu », en écho à la cinquième symphonie de Gustav Mahler. 

Sommes nous vraiment sûrs de ce à quoi nous allons assister lorsqu’on lit dans le programme, la définition de l’énigmatique titre Demi-Véronique ? : « en tauromachie la Demi-Véronique est le nom d’une passe durant laquelle le torero absorbe le taureau dans l’éventail de sa cape, le conduit dans une courbe serrée jusqu’à sa hanche, en contraignant l’arrêt de sa charge. Comme le soupir en musique, c’est une pause, une suspension à partir de laquelle tout peut recommencer ou se transformer. ». 

En effet, c’est bien à une suspension du réel que nous assistons. La musique s’est substituée à toute parole. Nous sommes transportés de tableaux en petites scènes, de délires parodiques à loufoqueries poétiques. Soutenus par une scénographie extrêmement ingénieuse, le couple improbable formé par Lionel Dray et Caroline Darchen, formidables comédiens, bateleurs, mimes, clowns, acrobates, nous fait rire et nous touche. Ils sont amoureux, pêcheurs énervés d’un poisson résistant, sauveurs d’un coeur lourd en peluche, appareillés par des oreilles géantes… Jeanne Candel, impérieuse dans une sorte de kimono hors du temps, parvient, seulement par le jeu ses cheveux mouillés et blanchis et par l’envol de ses manches gigantesques, à donner au spectacle une dimension étrangement belle et tragique. Pourquoi sommes nous cueillis par cet ensemble apparemment incohérent, voire gratuit par instants. 

Parce que sans doute ce travail puise sa force dans ce pourquoi nous sommes venus : le théâtre. C’est vraiment du théâtre !

Exposition Martine Franck jusqu’au 10 février 2019

Fondation Henri Cartier Bresson nouvelle adresse : 79 rue des Archives 75003 Paris  http://www.henricartierbresson.org/

Dictionnaire de la Comédie Musicale par Isabelle Wolgust, éditions Vendémiaire, en librairie

Théâtre des Bouffes du Nord – 37 (bis), bd de La Chapelle, 75010 Paris

GIRL, film intemporel, film universel.  

Parler du film Girl quinze jours après sa sortie dans les salles parisiennes n’est pas très sérieux et fait courir le risque de radoter ce que la critique a déjà dit ou écrit Mais peu importe. Ce film est intemporel et universel. « Qu’elle soit née homme ou femme, la personne transgenre modifie, voire rejette son identité sexuelle d’origine », telle est la définition que l’on peut trouver au terme transgenre sur internet. Contrairement à ce que l’on pourrait croire (et ce que je croyais), Girl n’est pas simplement un film sur le genre ou le transgenre, voire sur la transgression de manière générale, même si le transsexualisme est devenu une question de société importante et sensible. Girl s’avère toucher un questionnement beaucoup plus vaste, celui de l’adolescence, cette période souvent si confuse, où chacun est à la recherche de son propre corps, à la recherche de son identité. Lara, l’héroïne de ce premier film de Lukas Dhont, est une ravissante adolescente de quinze ans, incarnée par le comédien Victor Poster qui est tout simplement extraordinaire. Son sourire et son regard suffisent souvent à nous dire tout des tourments incandescents de son personnage. L’objectif de Lara est de devenir danseuse étoile. Pour ce faire, la famille qui se compose d’elle, son petit frère et son père (la mère est absente du cadre, nous ne saurons jamais rien d’elle) a déménagé pour lui permettre d’entrer dans la meilleure école du pays (nous sommes en Belgique). Ce parcours vers l’excellence de la danse classique va se doubler d’un autre challenge. Pour atteindre son objectif, Lara doit transformer son identité initiale. Née Victor, son sexe de garçon, imposé à la naissance, devient pour elle son handicap majeur. Parce qu’une danseuse étoile ne peut exister que dans le corps d’une femme, Lara veut changer de sexe. Avec le soutien indéfectible de son père (Arieh Worthalter, formidable d’humanité), nous allons suivre son double « travail », celui de la jeune danseuse, de ses progrès fulgurants dans les classes de l’Ecole et celui de l’ adolescente, séance après séance, dans le cabinet du médecin avec qui elle entreprend son traitement hormonal qui devrait déboucher sur une opération. La délicatesse, la pudeur, la beauté que les images de ce film nous transmettent, sont bouleversantes. Nous souffrons avec Lara lorsqu’elle tente de dissimuler son sexe pour être comme les autres ballerines, lorsqu’elle soigne ses pieds trop grands pour ses pointes, lorsqu’elle cherche l’approbation de son père devant les conseils de son médecin ou les évaluations de ses professeurs, lorsqu’elle doit affronter la « curiosité » cruelle de ses camarades. Mais nous souffrons avec elle comme nous le ferions avec n’importe quelle jeune fille qui mettrait toute son âme et tout son corps au service de cette volonté absolue de devenir danseuse étoile, dans un trajet qui, pour tous danseurs, garçons ou filles, est un sacerdoce. L’émotion qui nous assaille tout au long du film tient aussi beaucoup à cette relation extraordinaire qui existe entre Lara et son père, entre Lara et son petit frère, vis à vis duquel elle tient quelquefois le rôle de la mère absente. La violence de son combat est d’autant plus intense qu’il s’inscrit dans une compréhension familiale sans doute rare. Ne ratez pas ce film, si justement récompensé par la Caméra d’Or lors du dernier Festival de Cannes, par la Queer Palm et par le Prix d’interprétation décerné à l’incroyable comédien Victor Polster. 

Girl, Film belge de Lukas Dhont. Avec Victor Polster, Arieh Worthalter (1 h 45).

Les combats de Minuit 


Proposer une exposition consacrée à une maison d’édition peut relever du pari impossible. Pourtant,  « Les combats de Minuit, dans la bibliothèque de Jérôme et Annette Lindon » proposé par la Bnf jusqu’au 9 décembre, relève le défi.

A la faveur du don à la Bnf de la bibliothèque de leurs parents, à la mort de leur mère en 2014, Irène, André et Mathieu Lindon nous permettent de parcourir, à travers une centaine de titres (sur les 900 donnés), une partie du catalogue exemplaire des éditions de Minuit. Mais aussi, et avant tout, grâce à de nombreuses dédicaces adressées par les auteurs à leur éditeur, à des manuscrits originaux (dont celui de En attendant Godot) ou des photographies souvent inédites, de revivre l’aventure humaine d’une maison d’édition et les « combats » de son fondateur, comme le titre de l’exposition l’indique judicieusement. Fondateur des éditions de Minuit,  le terme n’est pas exact, puisque Jérôme Lindon (1925-2001), reprend en 1948, il a alors 22 ans, les rênes de la petite maison fondée dans la clandestinité par Vercors, l’auteur du Silence de la mer et Pierre de Lescure. Il entre aux éditions comme sous-chef de fabrication stagiaire non payé à la fin de l’année 1946. La situation économique de la maison étant fragilisée, c’est grâce à l’aide généreuse de la famille d’Annette Rosenfeld, future épouse Lindon que l’édition peut continuer. Jérôme en devient rapidement le patron..

L’expérience de la guerre, pendant laquelle Jérôme Lindon a dû se cacher en tant que juif avant de rejoindre le maquis à l’âge de quinze ans, est fondatrice. Elle détermine son engagement « contre tous les racismes et toutes les intolérances » comme a dit à son sujet Henri Alleg, auteur de La Question, ouvragequi a relancé le débat sur la torture pendant la guerre d’Algérie. Avec la publication de Charlotte Delbo ou d’Elie Wiesel, Jérôme Lindon fait entendre des voix rescapées de la Shoah. Si ses auteurs ont beaucoup salué sa gentillesse, tel Le Corbusier, qui s’est vu presque entièrement dédier la collection « Forces vives » consacrée à ses audacieuses et contestées propositions, d’autres louent le courage de Jérôme Lindon.

Il lutte contre la censure et la morale en publiant des textes de groupes alors à la marge, tels les féministes (Monique Witting), les prostituées (Barbara, en lutte pour ses droits), ou les homosexuels. Rapidement conscient de l’importance des sciences humaines et sociales, il accueille revues et collections, dont Arguments et Critique ou la collection de Pierre Bourdieu Le Sens commun. La place de l’homme dans le monde moderne fait partie de ses grandes préoccupations. En publiant des textes philosophiques (Georges Bataille, Gilles Deleuze et son Anti Oedipe avec Félix Guattari, de Jacques Derrida, …),  sociologiques (avec la collection de Georges Friedman « L’homme et la machine »), ou économiques (témoins les traductions de Marcuse ou Lukacs), il contribue à diffuser et à pérenniser la pensée de toute une génération qui bouscule et fait avancer la marche de l’histoire du XXème siècle.

Mais, selon Jérôme Lindon lui-même, le grand événement de sa vie d’éditeur reste sa rencontre avec Samuel Beckett et la publication en 1951 de Molloy. Le ton des publications littéraires des éditions de Minuit est donné :  poursuivant avec les écrivains son goût pour l’avant-garde, voire le scandale, il souhaite faire émerger une littérature nouvelle « indépendamment du goût du public et des lois du marché ». « Oui, je m’efforce de défendre le plus vigoureusement les livres que j’édite. Ce n’est pas pour les avoir édités, mais parce que, déjà avant, je les aime », écrit-il en 1960 à son ami Jacques Sternberg.

Jérôme Lindon et Alain Robbe-Grillet

Avec la complicité d’Alain Robbe-Grillet, il devient l’éditeur du Nouveau Roman et publie, entre autres, Michel Butor (La Modification), Nathalie Sarraute (Tropismes), Marguerite Duras (Moderato Cantabile, L’Amant), Claude Simon, mais aussi Robert Pinget et Claude Ollier…

Un document plus personnel de l’éditeur a retenu notre attention : un tirage limité du Livre de Jonas traduit de l’hébreu par Lindon lui même ainsi que ses commentaires,« fruit d’une réflexion mûrie pendant la guerre sur l’identité juive ». Avec cette dédicace « Pour Annette que j’aime tous les jours plus » signé Jérôme.

Les combats de Minuit, dans la bibliothèque de Jérôme et Annette Lindon

jusqu’au 9 décembre

Galerie des donateurs
BnF/François-Mitterrand
Quai François Mauriac, Paris XIIIe 

Du mardi au samedi 10h > 19h Dimanche 13h > 19h
Fermeture les lundis et jours fériés 

Entrée libre 

GUY, un film d’Alex Lutz

Qui est Guy ? Un chanteur populaire comme dit la chanson de Charlebois ? Un « ringard showbizz », comme l’appellerait un auteur compositeur de ma connaissance ? Une vedette, comme on disait avant l’avènement des stars ? Il est tout ça et plus, mais il est surtout le héros d’un film hyper réussi d’Alex Lutz. 

Sorti sur les écrans depuis une semaine, le film mérite un grand succès.
Pourquoi me direz vous ? En quoi un film qui est un faux/vrai documentaire sur un faux chanteur vieillissant, réalisé par un fils caché, qui découvre avec nous, le public, qui est son père, devrait nous plaire, mieux nous intéresser ?

Pour plusieurs raisons qu’il va falloir énoncer, tâche d’autant plus ardue que toute la presse a déjà tout écrit sur ce film.

UNE PERFORMANCE D’ACTEUR

La première raisons d’aimer ce film est de constater l’extraordinaire performance de Lutz, éternel jeune homme de pourtant 40 ans, à devenir ce pré-vieillard de plus de 70 ans, aux cheveux blancs, à la bedaine témoin du goût des bonnes choses, à la peau parsemée de tâches de vieillesse et de rides et à la bouche sans arrêt en mouvement, esquissant un mélange étrange de veulerie et de sensualité….

On apprend que, pour ce faire, Alex Lutz devait se plier à quatre heures quotidiennes de maquillage : « Je ne voulais pas de symétrie dans le visage de Guy :  une cicatrice là, car il s’est pris une porte, un soir, après un concert, à Agen. Je voulais qu’il n’ait pas seulement des poches sous les yeux, mais aussi des transferts de paupières jusqu’aux ras de cils, pour donner l’illusion de paupières tombantes, parce que c’est souvent l’acuité du regard qui ne colle pas dans les maquillages de vieillissement. », précise l’acteur-réalisateur dans une interview . Au-delà du maquillage, l’ensemble de ce que constitue le portrait du Guy est minutieusement construit et juste :  le rythme de la voix qui peut changer en fonction des situations, le ton mi-désabusé, mi-charmeur, le regard qui passe par l’interrogation un peu vide à l’ironie cynique mais aussi par l’émotion. Et puis bien entendu, tous les détails : la coiffure dont nous apprenons toute l’évolution aux fils des années -du flou ondulé aux bouclettes en passant par le brushing impeccable, l’indispensable bombe de laque Elnett dont Guy vante les mérites et qui semble faire partie intégrante de sa vie d’artiste, la chaîne en or et les gourmettes, discrets attributs de la réussite…..

UNE JOLIE PARABOLE SUR LA FILIATION ET LE TEMPS QUI PASSE 

En choisissant de nous rendre « spectateur double », Alex Lutz, évite le piège de la caricature. Il nous propose de suivre le tournage d’un documentaire, réalisé par Gauthier, jeune journaliste, à qui sa mère a confié avant sa mort que Guy Jamet est son père (touchantes apparitions en forme de home movie  de Brigitte Rouan qui incarne cette joyeuse mère que la vie a emportée). Elle l’avait rencontré lors d’un concert où son mari n’avait pas voulu l’accompagner…Gauthier, dont nous ne découvrirons le visage qu’à la fin du film, (incarné par Tom Dingler, ami d’enfance de Lutz et lui même fils d’un chanteur des années 70), nous propose SA vision de Guy Jamet, qu’il filme et interviewe à l’occasion de la sortie d’un album de reprises de chansons, sans doute après une période où Jamet était moins présent sur le devant de la scène (une fan lui dit même dans la rue qu’elle pensait qu’il était mort !). Cet effet « Vache qui rit » du film dans le film augmente encore le réalisme du personnage : nous assistons à un documentaire sur Guy Jamet, nous allons mieux le connaitre, comme si nous le connaissions déjà !! Et c’est justement sur ce terrain qu’Alex Lutz et ses scénaristes sont d’une grande subtilité : le regard de Gauthier sur cet homme qui est donc son père évolue au fur et à mesure du film, tout comme le nôtre. Comme Gauthier, nous sommes de prime abord méprisants, tentés de penser que Guy est un chanteur hasbeen, momifié dans les clichés des années 70, inculte, sans autre références que celles du showbizz, marié à une comédienne un peu écervelée et vraie « femme de » (Pascale Arbillot, très « juste »). 

Mais le film va basculer après un franche engueulade entre Guy et Gauthier « Mec, j’ai commencé en 1966, alors on ne me la fait pas, car j’ai tout vu ! Toutes les vanités, tous les ego, tous les idéaux, et toutes les trahisons. J’ai eu la carte, je ne l’ai plus eue, mais si tu es juste là pour me filmer avec mes chihuahuas et ma gonzesse qui a un petit cul pommelé et des talons en liège, alors dégage ! En revanche, si tu veux vraiment faire ma rencontre, fais-la ! Fais un effort, car c’est ton travail de journaliste. » A partir de là, le regard du fils illégitime et le nôtre vont changer. Nous allons commencer à regarder ce Guy Jamet comme un être humain et plus comme la représentation d’une icône déchue. Nous  admirons ses qualités et tolérons ses faiblesses. Nous découvrons qu’il aime les préludes à l’orgue de César Franck et les chorus de guitare de Jimi Hendrix, qu’il a lu Valère Novarina (référence pour le moins incongrue!). Nous comprenons avec lui qu’il est conscient de ses limites et de ce qu’il incarne. Nous allons presque aimer les chevaux qu’il aime monter. Nous allons nous attacher à ses choristes, à ses musiciens de tournée et surtout à l’indispensable bien nommé « Grand Duc », celui sans qui rien ne peut se faire en tournée, de la place de la laque et des fruits secs dans la loge à l’installation de la scène pour la balance…Nous sommes émus par la fragilité du personnage, fragilité qui va se transformer en une vraie alerte cardiaque. L’heure du bilan n’est pas loin, y compris celui de savoir si il a été un bon père, ce qu’il ne pense pas du tout. Comprend-t-il alors pourquoi Gauthier s’intéresse tant à lui ? sans doute. Et cette histoire, la vraie histoire du film, d’un père et d’un fils nous touche. Le réalisateur a dédié son film « à tous les pères » au début du film, et à ses fils au générique fin….

DES PERSONNAGES FEMININS CONVAINQUANTS

Soyons clairs : le personnage de Guy Jamet pourrait être taxé de misogyne. Sa posture, son vocabulaire vis à vis des femmes sont, par moment, inaudibles. Mais cela fait partie de la panoplie du chanteur à succès et du discours de l’époque. Pourtant, nous comprenons que Guy aime, a sincèrement aimé et a besoin des femmes dans sa vie. Son grand amour a été Anne-Marie, incarnée, jeune, par une Elodie Bouchez, troublante de ressemblance avec la vraie Dani que l’on retrouve aujourd’hui. Anne-Marie est la mère de son « vrai » et, pense Guy (jusqu’à quand ?), seul, fils. Sophie, sa femme du moment a été évoquée. Et comment ne pas dire un mot sur le personnage de Stéphanie, la fidèle attachée de presse, formidablement jouée par Nicole Calfan, plus vraie que nature. Elle est parfaite dans ses fonctions de complice-protectrice, d’intermédiaire avec les journalistes et même avec le public, miroir rassurant à plein temps….

UNE BANDE SON TRES REUSSIE

Saluons bien sûr une autre réussite qui contribue à parfaire ce vrai/ faux documentaire sur les années 70 : les chansons, spécialement composées pour le film, dont le « son » et les paroles sonnent tellement vrai ! Sans oublier les reconstitutions de chansons en duos en forme de Stone/Charden, Gainsbourg/Birkin ou Gall/Berger, spécial play back et image floutée-romantique ! Et bravo à Lutz qui est l’interprète de toutes les chansons.

ETRE UN ARTISTE

Artiste de variété ou artiste en général, le film d’Alex Lutz, en propose un beau, voire émouvant portrait. « Etre ou ne pas être », comme dirait l’autre….Laissons lui le dernier mot : La question sur le temps, ce qu’on en fait, sur ce dont on se souvient ou pas, ce qui reste… ce sont des thèmes qui me bouleversent, me passionnent même en littérature et qui m’inspirent. Une autre question qui m’intéresse, que je trouve filmique, tourne autour du qu’est ce que ça veut dire d’avoir été the place to be, de ne plus l’être, que personne ne s’en souvienne forcément. Et du coup par filiation, qu’est-ce que cela veut dire réussir ou pas quand on est un artiste. Et si vous ne faites plus rien, l’êtes-vous toujours? Guy le dit, sa qualité d’artiste c’est un état d’âme avant tout. 

GUY, un film d’Alex Lutz, en salle depuis le 29 aout, durée 1h41

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