J’aime qu’une exposition me raconte une histoire ou me permette d’en imaginer une.
Ainsi la magnifique exposition « Perspective » consacrée à Richard Peduzzi par le Mobilier national dans la Galerie des Gobelins m’a immergée dans une cinquante années de ses réalisations, de 1972 à aujourd’hui, réunissant peintures, dessins, croquis, maquettes de décors, mobilier, luminaires, objets, tapis et tapisseries.
Si le nom de Peduzzi est indissociable de celui de Chéreau pour avoir réalisé tous les décors de ses mises en scène de théâtre et d’opéra, l’exposition permet de prendre la mesure de son œuvre pluridisciplinaire, dans ses intrications et ses prolongements, offrant ainsi une vision globale de son itinéraire artistique.
La déambulation, scénographiée par l’artiste lui-même, non chronologique, m’a invitée à plonger dans son univers, depuis son travail de peintre à celui de décorateur, de concepteur d’espaces muséaux à ses interventions dans des projets architecturaux et à ses créations de mobilier et d’objets.
D’une enfance normande cabossée entre le Havre et Verneuil-sur-Avre dans l’immédiate après-guerre, Richard cherche sa place, sa voie…Il ignore alors combien les paysages de son enfance resteront à jamais une immense source d’inspiration : « …ce sont toujours les mêmes obsessions : les quais, les bâtiments industriels, les reflets, les palais désaffectés. C’est Le Havre qui me revient par bouffées à chaque fois, cette étrange odeur du Havre et son ciel.[1] » Lorsqu’il arrive à Paris, à l’âge de 16 ans, il est déterminé à devenir peintre et rencontre deux ans plus tard Charles Auffret qui sera son premier « maître ». Mais l’ambiance de l’atelier lui semble austère, il veut « sentir la vie autour de (lui) ». En 1967, deux rencontres vont faire basculer son destin : celle de son premier amour, Marianne Merleau-Ponty et de sa mère Suzanne, qui vont lui permettre de « changer (sa) ligne d’horizon, (sa) façon de voir et d’appréhender le monde » puis d’un jeune metteur en scène, Patrice Chéreau : « Dès lors, nous ne sommes jamais plus quittés.[2] » Ces « coups de chance », comme il les décrit, ne vont pas s’arrêter là. Sur le plan personnel, il tombe amoureux en 1974 de Pénélope Chauvelot, lorsqu’elle apparait, tel un miracle, sur le port de Portofino. Il la retrouve en 1980, pour le meilleur. Elle est « l’amour de sa vie » et la mère de ses enfants. Au chapitre professionnel, d’autres mondes s’ouvrent en parallèle au théâtre et à l’opéra lorsqu’il se voit confier des conceptions d’espaces comme la bibliothèque-musée de l’Opéra, des expositions à mettre en scène pour le musée d’Orsay ou le Louvre ou autres projets d’architecture et de décoration intérieure. Puis il est appelé en 1992 par Jack Lang pour diriger l’École des arts décoratifs (ENSAD), situation d’autant plus cocasse qu’il avait été recalé à son concours d’entrée bien des années plus tôt ! Après dix années, une nouvelle aventure l’attend : celle de devenir le directeur de la Villa Médicis à Rome où il restera six ans. Et depuis 1988 s’est engagée une collaboration avec le Mobilier national, partenaire de nombre de ses réalisations muséales et pour qui il a conçu une centaine de meubles. Il était donc « naturel et pour ainsi dire nécessaire d’organiser (…) cette exposition « Perspective » qui reflète si fidèlement l’univers polysémique de Richard Peduzzi.[3] » écrit Hervé Lemoine, président du Mobilier national et commissaire général de l’exposition.
« Perspective » se déploie sur les deux niveaux de la Galerie des Gobelins. Offrons-nous le privilège de nous laisser guider par Richard Peduzzi, grâce à un dialogue avec le journaliste Arnaud Laporte[4]…« (La Galerie des Gobelins) est un espace tout en longueur, c’est la grande difficulté. (…) L’essentiel étant que les visiteurs disposent de place et de tranquillité pour observer. L’espace se divise en cabinets invisibles qui structurent et concentrent ce que nous voulons montrer. Invisibles car il n’y a pas de cloisonnements entre eux, pas de séparations nettes »
Le rez-de-chaussée de la galerie offre une perspective magnifique. « Dès l’entrée, l’œil est immédiatement attiré par un tapis au fond de la galerie (…). Ce point de fuite est accentué par les cimaises bleues de chaque côté, fixées aux murs et sur lesquelles sont accrochés mes tableaux ».
Aquarelles, dessins et gouaches réalisés pour des décors de mises en scène de Chéreau principalement mais aussi de Luc Bondy ou Clément Hervieu-Léger m’émeuvent particulièrement, me proposant un voyage rétrospectif vers quelques uns des plus beaux spectacles de théâtre et d’opéra : La Dispute (1972), Peer Gynt (1981), Quai Ouest (1986) ou I Am the Wind (2011), L’Éveil du Printemps (2018) pour le théâtre, Le Ring (Bayreuth, 1976), Lulu (1979), Lucio Silla (1984), Wozzeck (1992) Don Giovanni (1992) ou De la maison des morts (2007) pour l’opéra.
« (Les tableaux) entrent en discussion avec les meubles, que ce soit par les couleurs ou les traits (…) », souligne Richard Peduzzi.
L’iconique rocking-chair fait d’un seul ruban de bois mélaminé en merisier ou la table Pyramide frôlent des fauteuils et des poufs en velours de couleurs sous des lustres monumentaux. Ces passages, ces dialogues d’un support à un autre, d’un dessin à un décor, d’un décor à un fauteuil que Peduzzi décide de dessiner lui-même, faute de trouver le bon, pour Le Conte d’hiver mis en scène de Luc Bondy (point de départ de sa conception de meubles pour le Mobilier national), forment toute la richesse de « l’univers foisonnant de Richard Peduzzi où harmonie et dissonance, gravité et légèreté se côtoient » comme l’écrit Alizée David, co-commissaire de l’exposition. « Cet espace du rez-de-chaussée, entièrement bleu, offre une immersion dans mon univers, comme si le visiteur entrait chez moi. »
« Au premier étage de la galerie, une salle conçue comme un cabinet de curiosités présente des maquettes de décors de théâtre et d’opéra. » L’histoire que je suis venue chercher ici (et à laquelle j’ai très modestement participé lors de mes années d’attachée de presse du théâtre de Nanterre-Amandiers sous la direction de Patrice Chéreau et Catherine Tasca) est également racontée dans une formidable archive INA d’un documentaire d’Arnaud Sélignac (L’Envers du théâtre -1986) où l’on assiste à un dialogue entre Richard et Patrice à l’occasion de leur collaboration sur le décor de l’opéra Lucio Silla – La maquette du décor est également visible dans l’exposition – Leurs regards, leurs complicités, leur complémentarité, tout y est.
« Dans la salle suivante, de grands panneaux inclinés de couleurs sont adossés aux murs. On y retrouve d’autres maquettes aux côtés de dessins préparatoires et de peintures qui alimentent mon processus d’imagination dans la conception des décors. » Ce premier étage dévoile des carnets exposés pour la première fois et des croquis de recherche où couleurs et crayonnés montrent le work in progress de meubles.
Une dernière pièce impressionnante présente des tapis de très grands formats reproduisant quelques-uns des tableaux vus au rez-de-chaussée pour des décors. On découvre également des exemples d’aménagements réalisés pour l’Opéra Garnier, Orsay, le Louvre, le Château Mouton Rotschild de Pauillac ou la Scala à Paris.
Laissons le final cut à l’artiste : « Ce n’est pas pour rien que l’exposition n’est pas une rétrospective, C’est vraiment une « perspective », au sens où il faut investir le présent pour vivre intensément. Mais le présent ne dure qu’une seconde…. »
Richard Peduzzi. Perspective. Mobilier, décors, dessins 16 oct 2024 -31 déc 2024 Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins 7503 Paris
[1] Percussion, discussion avec Arnaud Laporte, Actes Sud, 2024
[2] Je l’ai déjà joué demain, Actes Sud, 2021
[3] Catalogue de l’exposition, Actes Sud/Mobilier national, 2024
[4] Percussion, discussion avec Arnaud Laporte, Actes Sud, 2024
Bravo Corinne
Suis admiratif de ce que tu réalises
Au plaisir de se revoir
Jean-Paul
Merci à toi !