« Photographier la nuit implique l’usage de la pause longue, et l’une des particularités de la pause longue c’est d’ajouter du temps à la mesure de la lumière », précise la photographe Marie Bovo en forme d’introduction à la superbe exposition, judicieusement intitulée Nocturnes, qui lui est consacrée à la Fondation Henri Cartier Bresson en collaboration avec la galerie kamel mennour.
Marie Bovo, née en 1967 en Espagne, est devenue française et vit à Marseille. Son travail a déjà fait l’objet de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Elle fut nominée aux Infinity Awards par l’International Center of Photography à New York en 2016.
35 tirages de grand format nous sont proposés rue des Archives, regroupés en cinq séries différentes qui nous font voyager à Marseille, à Alger, en Afrique….La technique particulière de la photographe produit des couleurs contrastées et denses qui illuminent l’ambiance nocturne commune à chaque photo, convoquant un réalisme saisissant mêlé d’une poésie envoutante des lieux, tous, ou presque, désertés par les humains.
La voie de chemin de fer, série réalisée au fil de quatre mois en 2012 aux Arnavaux à Marseille, témoigne de la clandestinité d’un camp de Roms. Saisies aux heures où les habitants dorment, les photos restituent des traces de vie : des bouts de tissus aux couleurs magnifiques -rebuts de vêtements usés ou abandonnés- morceaux de tapis, vieux jouets, chaussures enlevées à la va-vite, assiettes aux restes de nourriture…Le souci d’invisibilité du camp se lit à travers la solitude de ces objets oubliés par des vies du voyage.
En Suisse, le Palais du roi, est, comme son nom ne l’indique pas, situé à Marseille. Marie Bovo est parvenue à conserver la mémoire d’un lieu aujourd’hui disparu, un kebab qui restait ouvert de 7 heures à 2 heures du matin. L’unique salle de ce « fast-food » était décorée de céramiques superbes que la ville de Marseille avait inscrites au patrimoine, exigeant qu’elle ne soient pas détruites après la revente du lieux. Elles ont été recouvertes.
Alger est un ensemble saisissant : Marie Bovo nous invite sur les petits balcons d’un appartement de la ville où elle a séjourné en 2013. La force des lumières extérieures de la nuit révèlent celles du carrelage intérieur. La photographe nous a entrainés avec elle, à l’embrasure de ces fenêtres ouvertes sur la ville, nous rappelant curieusement des tableaux de Matisse.
Face aux photos d’Alger, nous revenons à Marseille dans un ensemble de Cours intérieures dont Marie Bovo a choisi de renverser notre perception : c’est de l’intérieur de la cour que nous découvrons le ciel bleu nuit que les immeubles encadrent, comme si nous étions allongés par terre, les yeux ouverts pour admirer un azur nocturne décoré par le linge qui sèche entre les fenêtres. Etourdissant.
La série consacrée au village de Kasunya, au Ghana, la plus importante en nombre de photos, est la plus « picturale ». La photographe s’est attachée au Evening Settings, la mise en place des objets nécessaires aux repas qui vont être pris dans les cours devant les maisons. « Ici se déroule la vie quotidienne : cuisiner, laver, manger…Pilon, mortier, petits tabourets de bois, bassines d’aluminium, brasero rougeoyant de feu, couteaux, assiettes, vêtements se mêlent à des objets contemporains occidentaux, des téléphones portables, des artefacts en plastique de tous genres, souvent fabriqués en Chine » nous explique Marie Bovo qui aime raconter les photos qu’elle présente.
Pour compléter le magnifique parcours dans son travail photographique, il faut s’arrêter sur deux vidéos qu’elle a réalisées, en particulier La Voie Lactée, dix minutes incroyables où nous suivons le parcours du lait qui a débordé d’une casserole pour se répandre dans les rues de Marseille, jusqu’au port…
Visages en noir et blanc contrastent avec Nocturnes lorsque nous arrivons dans la dernière salle pour retrouver avec plaisir une série de portraits réalisés par Martine Franck, réunis sous le titre Face à face. « Les yeux et les mains sont pour moi ce qu’il y a de plus révélateur ; pas de flash, la lumière ambiante et une bonne dose de silence », révèle-t-elle pour définir la méthode de son regard photographique, qualifié de « regard amical » par Robert Doisneau. Figures célèbres ou anonymes, on aime retrouver des portraits devenus iconiques comme ceux d’Albert Cohen ou d’Ariane Mnouchkine et bien d’autres, illustrations presque vivantes de la vie intellectuelle et artistique du XXème siècle. Martine Franck avait une prédilection pour les visages d’hommes et de femmes marqués par le temps, plus que pour les sujets jeunes (hormis la superbe photo d’un écrivain qui n‘a pas eu le temps de devenir vieux, Hervé Guibert). Féministe convaincue, l’épouse d’Henri Cartier-Bresson déclarait dès 1979 : « Faire évoluer l’image de la femme âgée, ce serait modifier celle de la femme en général ; cela suppose une révision de son image dans la publicité, la presse et les livres scolaires ». Plus de quarante ans plus tard, cette proposition a-t-elle été entendue ?
Marie Bovo Nocturnes / Martine Franck Face à face DU 25 FÉVRIER AU 17 MAI 2020 Fondation HCB 79 rue des Archives – 75003 Paris henricartierbresson.org