Si vous deviez choisir parmi toutes les magnifiques expositions du moment, dirigez-vous toutes affaires cessantes à la Fondation Cartier, boulevard Raspail à Paris, pour découvrir la superbe proposition autour de l’artiste colombienne Olga de Amaral.
J’avoue n’avoir jamais entendu parler de cette artiste jusqu’à ce que des commentaires éblouis sur les réseaux sociaux ou ceux de voix amies me portent jusqu’à cette visite enchanteresse. Le fait d’avoir un regard pur, une approche uniquement sensorielle pour appréhender l’exposition était très jouissive. Le soleil de ce dimanche matin d’hiver, les feuilles vertes des arbres visibles par les grandes baies vitrées de la Fondation Cartier ont ajouté du plaisir à cette découverte.
J’apprends vite par les cartels et le document d’aide à la visite qu’Olga de Amaral est née à Bogota en 1932, qu’elle a été formée dans les années 1950 à l’architecture en Colombie puis à l’académie de Cranbrook aux Etats-Unis où elle est sensibilisée aux influences du mouvement Bauhaus. Elle découvre alors le design textile et la technique du tissage et contribue dans les années 1960 et 1970 au développement du Fiber Art, mouvement auquel appartiennent des artistes telles Anni Albers, Sheila Hicks ou Magdalena Abakanowicz.
Les deux salles du rez-de-chaussée sont éblouissantes. La première, intitulée « Tisser le paysage » présente des panneaux monumentaux réalisés principalement en laine et crin de cheval. On est happé par cet espace inédit, par ces tableaux abstraits conçus dans des matières inhabituelles et presque rassurantes, par l’intelligence de la mise en espace que l’on doit à l’architecte franco-libanise Lina Ghotmeh. La présence minérale de grosses pierres d’ardoise contribue à dessiner le paysage qu’évoque les murs tissés.
La seconde salle du rez-de-chaussée nous enveloppe et nous trouble. Où sont les limites entre l’intérieur et l’extérieur ? La scénographie mêle l’architecture du bâtiment de Jean Nouvel et celle du jardin conçu par Lothar Baumgarten aux œuvres d’Olga de Amaral, les Brumas (Brume), série initiée en 2013. Les vingt-trois pièces présentées sont constituées de milliers de fils de coton enduits de gesso et recouverts de peinture acrylique. Je lis qu’« elles apparaissent comme des représentations métaphoriques de l’air et de l’eau ». Tissées en trois dimensions, monumentales également, leur aspect aérien est accentué par la transparence des fils et leurs légers balancements. En tournant autour des œuvres, on découvre des motifs peints qui apportent de subtiles touches de couleur à cette traversée. La couleur est l’une des grandes affaires de l’artiste : « Je vis la couleur. Je sais que c’est un langage inconscient et je le comprends. La couleur est comme une amie, elle m’accompagne. » a-t-elle joliment écrit.
Descendons à l’étage inférieur où se poursuit l’exposition. Les volumes sont différents, l’extérieur ne pénètre plus, la scénographie s’y adapte. Le motif de la spirale est le fil conducteur de cette déambulation où l’on suit petit à petit les explorations artistiques développées par Olga de Amaral depuis cinq décennies. Organisée chronologiquement, cette deuxième partie nous donne quelques clefs pour comprendre les recherches de l’artiste. L’héritage du Bauhaus lui a, entre autres, appris l’abolition de la séparation entre l’artiste et l’artisan. Ainsi affirme-t- elle tout au long de son travail des avancées toujours plus audacieuses en utilisant de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques inspirés par des techniques traditionnelles populaires de son pays qu’elle associe aux dynamiques de l’art abstrait post Seconde Guerre mondiale. Et elle s’adjoint la collaboration de plusieurs artisanes colombiennes qui l’accompagneront tout au long de son travail.
Deux choses m’ont particulièrement frappée dans cette salle : d’une part la manière dont les œuvres, affleurant le sol ou en suspension, délimitent l’espace et d’autre part, outre l’importance de la couleur et des évolutions techniques, l’apport magnifique qu’apporte la feuille d’or à de nombreuses pièces. Cet élément devient dès le milieu des années 1980 l’un des matériaux de prédilection d’Olga de Amaral qu’elle applique sur les fils de coton ou directement sur la surface d’œuvres rendant le tissu presque invisible. Recherche de la lumière mais aussi connotation sacrée – le doré est celui des autels des églises baroques de Bogota -, autant d’éléments qui indiquent le caractère mystique de ses pièces. La dernière salle consacrée à la série Estrelas, en constitue le point culminant. Ces stèles dorées qui pourraient représenter des menhirs, des totems ou des pierres stellaires évoquent, selon les commissaires de l’exposition, des sculptures funéraires ou votives monumentales des grands sites archéologiques précolombiens. Sans posséder spontanément ces références, nous sommes saisis par l’émotion voire le recueillement.
Olga de Amaral, artiste dont la renommée internationale n’est plus à faire, voit avec cette première grande rétrospective en France, une reconnaissance publique évidente. En témoigne le succès de l’exposition. Il ne faut pas la rater, en prenant la précaution de réserver ses places sous peine de ne pouvoir vivre ce grand moment.
Exposition. Olga de Amaral. Jusqu’au 16 mars 2025 Fondation Cartier pour l’art contemporain 261 boulevard Raspail 75014 Paris https://www.fondationcartier.com