L’Attachement est un film délicat, subtil. Il m’évoque une ronde (comme le titre éponyme du texte d’Arthur Schnitzler). Ronde des personnages, ronde des sentiments, ronde des attachements et peut être ronde des solitudes. Au centre de cette ronde, il y a un bébé, Lucille, dont la naissance va orchestrer toute l’histoire. Le film est ponctué par l’âge de l’enfant, de zéro à deux ans, indiquant ainsi l’irréversibilité du temps, de l’amour et les progrès d’un deuil.
Sandra (Valeria Bruni-Tedeschi, formidable !) va mener la danse, à son corps défendant. Nous rencontrons cette libraire féministe quinqua, célibataire, émancipée des diktats de la société, catégorique lorsqu’elle affirme son inintérêt pour les enfants.
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Son voisin, Alex (Pio Marmaï, parfait dans ce registre émotionnel inédit), sonne un matin à sa porte, accompagné de sa femme enceinte Cécile qui vient de perdre les eaux. Sandra peut-elle garder Eliott (César Botti, épatant), le fils de Cécile d’une précédente union, le temps de joindre la baby-sitter ? Alex reviendra seul de la clinique, Cécile est morte en couche…
Lorsque Alex rentre à la maison avec le bébé Lucille, la ronde commence à tourner. Avec une délicatesse magnifique, la réalisatrice Carine Tardieu dessine le glissement progressif des sentiments du petit Eliott pour Sandra, de Sandra pour Eliott, d’Alex pour Sandra…Aucun excès, des petites touches pendant lesquelles on s’apprivoise et on s’attache toujours un peu plus. Et si Sandra n’était pas aussi imperméable à la tendresse et à l’intelligence d’un enfant ? Doit-elle lutter contre des liens qui s’imposent à elle ?
Deux autres personnages vont entrer dans la ronde. David (Raphael Quenard, plus posé que d’habitude ce qui est reposant) le « vrai » père d’Elliot dont il ne s’est jamais réellement occupé et Emilia (Vimala Pons, lumineuse) qui va devenir l’amoureuse d’Alex, ce dernier ayant été cantonné par Sandra au statut d’ami/voisin malgré l’attirance qu’elle exerce sur lui (et sans doute réciproquement).
La grande réussite de ce film est d’orchestrer cette danse entre des personnages déterminés par une vraie/fausse parentalité. Alex n’est pas le père d’Elliot mais il l’aime comme un fils, Sandra va être choisie par Eliott, non pour remplacer sa mère (elle n’en est pas une comme le lui rappelle l’enfant, donc elle ne peut pas rivaliser) mais comme une figure maternelle, Emilia cherche sa place dans cette famille recomposée et ne sera jamais une mère. Quant à David, sa nonchalance égoïste en fera un père transparent. Deux figures de « vraies » mères, incarnées l’une par la touchante Catherine Mouchet, l’autre par une Marie-Christine Barrault décoiffante, offrent deux visions opposées : la première, Fanny, dévastée par la disparition de sa fille Cécile, est douceur, affection et tolérance ; la seconde, Odette, au motif de s’être « sacrifiée » pour élever seule ses filles, aime les provoquer et « en a marre de ces femmes qui portent plainte quand on leur tâte le cul. » Le repas qui réunit Odette et ses deux filles Sandra et Marianne est une scène de comédie irrésistible, mais aussi l’occasion pour la réalisatrice de montrer l’évolution de la notion de liberté féminine au fil des générations.
L’attachement, adapté librement du roman L’intimité d’Alice Ferney (qui a validé le scénario), arrive sur les écrans simultanément à des bulldozers du cinéma international, si l’on pense à The Brutalist ou à Un parfait inconnu, deux très grandes réussites. Le film de Carine Tardieu se situe à une toute autre place dans le paysage. Celle d’un film intimiste qui dessine à merveille l’amour éprouvé pour un enfant qui n’est pas forcément de son sang (pour Alex comme pour Sandra), le glissement minuscule des sentiments où le « je t’aime » ne veut pas toujours dire toujours, mais aussi l’éternel solitude de chacun. Le portrait bouleversant de Sandra, femme libre qui apprivoise des attachements nouveaux, conserve une précieuse solitude. Alex qui essaye d’opérer son travail de deuil en tentant de reconstruire sa vie est bien seul face à ce qu’il vit comme des échecs successifs. Quant à Emilia, elle traverse de grands moments de solitude en tentant de trouver une légitimité dans la vie d’Alex.
L’émotion nous submerge souvent pendant la projection de L’Attachement et la musique d’Eric Slabiak l’accompagne avec intensité, exprimant aussi l’autre pôle de cette ronde : la joie. On en redemande !
L’ATTACHEMENT, UN FILM DE CARINE TARDIEU FRANCE, 2024 – DURÉE : 1H45 En salle depuis le 19 février 2025





