Le mahJ inaugure le printemps par une belle initiative : une exposition consacrée à une femme, une conquérante, une pionnière, une entrepreneuse, une collectionneuse, une amoureuse de la beauté: Helena Rubinstein. Après quelques grandes expositions consacrées à des figures féminines : Friedl Dicker-Brandeis (2000), Rachel, une vie pour le théâtre (2004), Charlotte Salomon Vie ou Théâtre (2006) ou Lore Krüger (2016) et d’autres, aux formats plus réduits, présentant le travail de femmes artistes contemporaines, dont, entre autres Sophie Calle (2006), Pierrette Bloch (2006), Cécile Reims (2011), Carole Benzaken (2011), Nira Pereg (2014) ou Sigalit Landau (2016), c’est au tour d’Helena Rubinstein d’occuper les salles de ce musée jusqu’au 25 août. New York et Vienne, deux villes qui ont compté dans le parcours d’Helena Rubinstein, lui avaient chacune consacrée une exposition, en 2010 pour New York, en 2017 pour Vienne. Paris, qui se devait de rendre hommage à celle pour qui la capitale française a été si importante, présente une nouvelle version de l’exposition viennoise . Challenge réussi par le mahJ, en particulier par Michele Fitoussi, auteure d’une superbe biographie Helena Rubinstein la femme qui inventa la beauté (Grasset, 2010) et commissaire de l’exposition.
Trois grands axes se dégagent au long du parcours, éclairant la personnalité de cette femme d’avant garde : l’axe familial dont elle va s’émanciper très tôt, affirmer son indépendance et son goût des voyages, l’axe professionnel qui nous révèle les étapes de la réussite exceptionnelle d’Helena Rubinstein en Europe et aux Etats Unis, l’axe artistique qui dévoile son goût et sa sensibilité, la liant aux plus grands artistes et écrivains de son temps, aux plus grands décorateurs et couturiers qui seront ses amis et ses complices, ce même goût qui fera d’elle une immense collectionneuse.
Sa vie est un roman. Née à Cracovie en 1876 dans une famille juive, la jeune Chaja, aînée de huit soeurs, est exilée à Vienne en 1894 par sa famille à qui elle refuse tout mariage arrangé. Pour connaître le monde, elle embarque pour l’Australie où vivent trois de ses oncles. Elle a 24 ans, change son prénom pour Helena, rejoint rapidement Melbourne qui lui convient mieux que les terres agricoles qu’elle visite d’abord. C’est toutefois dans son premier séjour australien qu’elle fait un constat décisif : la peau des fermières, agressée par le vent et le soleil, mérite des soins. Elle recherche la composition des pots de crème que sa mère avait glissés dans sa valise (mélange de plantes et de lanoline) et se débrouille pour fabriquer et distribuer sa première « pommade » qu’elle baptise « Valaze ». Et çà marche ! Elle peut ouvrir son premier salon de beauté, comprend vite l’utilité de la publicité dans la presse, n’hésite pas à employer actrices ou cantatrices comme égéries de sa marque…Nous sommes en 1900. Helena a déjà tout compris. De retour en Europe, elle consulte des scientifiques et opère une classification de la peau en trois types différent.
Elle rencontre en 1907, à Melbourne, William Titus, un journaliste américain juif d’origine polonaise qui tient une place de collaborateur à ses côtés avant de devenir son mari en 1908. Ils auront deux fils, Roy et Horace, divorceront en1938, année du remariage d’Helena avec le prince géorgien Artchill Gourielli-Tchkonia, de vingt-trois ans son cadet.
Londres, New York et Paris sont les trois villes où elle partagera sa vie. Londres dans les années 10, New York pendant les deux guerres mondiales, pour y revenir régulièrement et y mourrir en 1965. Et Paris où Helena forme son goût artistique : elle achète ses premiers objets d’art africains et océaniens dans les salles de ventes parisiennes en suivant les conseils d’un ami de Titus, Jacob Epstein. C’est à Paris toujours qu’elle se lie entre les deux guerres avec de nombreux peintres et écrivains, grâce encore à son mari, à qui elle« offre» une librairie et une maison d’édition. Misia Sert, pianiste, polonaise comme elle, jouera également un grand rôle dans son immersion au sein du Tout Paris des arts et des lettres. Le goût d’Helena pour la mode la conduit à rencontrer et à se faire habiller par les couturiers du moment, Madeleine Vionnet, Coco Chanel, Christian Dior, Elsa Schiaparelli, Jeanne Lanvin et plus tard Balenciaga et Saint Laurent. Elle mécène des peintres, visite leurs ateliers et achète leurs tableaux. Dans les années 30, elle acquiert des toiles de Bonnard, Brancusi, Braque, Miro, Pascin; Kisling, Picasso, Maillol, Juan Gris, Van Dongen, Léger, Picasso…Elle commence ainsi à constituer sa collection de peinture, qui deviendra l’une des plus grandes collections d’art au monde incluant l’art africain.
Elle ouvre des salons de beauté spectaculaires dans les trois villes, y exposant des oeuvres d’art et en demandant à des artistes de peindre des panneaux muraux. Dali, Modigliani, Marcoussis, Tchelitchew, Juan Gris ont peint pour ses instituts mais aussi pour ses appartements. Dans les trois villes, elle acquiert des demeures somptueuses (comme un cinquante pièces avec terrasse au 24 quai de Béthune à Paris), quand ce ne sont pas les immeubles entiers. Les plus grands architectes, designers ou décorateurs du moment (Louis Süe, Jean-Michel Frank, Eileen Gray, Pierre Chareau, Emilio Terry, David Hicks…) aménagent ses intérieurs.
Helena Rubinstein a été peinte par une trentaine d’artistes majeurs, entre autres par Raoul Dufy, Marie Laurencin, Paul César Helleu, Graham Sutherland, Christian Bérard, Candido Portinari, Pavel Tchelitchew ou Sarah Lipska et dessinée par Picasso…. Elle a aussi été beaucoup photographiée, en particulier par Cecil Beaton, Dora Marr, Erwin Blumenfeld, Boris Lipnitzki…
En 1958, elle a perdu successivement son époux et son fis cadet. Elle plonge dans de graves dépressions et entreprend de voyager en Australie, au Japon, à Hong Kong, à Moscou pour arriver en Israël où elle finance la construction du pavillon pour l’art contemporain du musée Tel Aviv à qui elle lèguera une partie de sa collection. Elle n’a jamais oublié les racines juives qui l’ont constituée.
L’exposition, grâce à de nombreux documents, dont de très nombreuses archives photographiques, le matériel publicitaire de la marque incroyablement novateur, des robes et bijoux signés Dior ou Chanel, des pièces de sa collection de peintures et de sculptures, des interviews filmées, nous permettent de prendre la dimension de la femme d’affaires qu’elle était, de la femme de goût qu’elle fut et de sa vision de LA femme qu’elle voulait belle, indépendante et libre.
Un magnifique catalogue accompagne l’exposition (co-édition mahJ Flammarion)
Helena Rubinstein, L’aventure de la beauté, jusqu’au dimanche 25 août 2019, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme www.mahj.org