Le nom de Sarah Bernhardt évoque une grande comédienne, une collectionneuse d’amants et de bijoux. L’exposition, proposée par le Petit Palais à Paris jusqu’au 27 août à l’occasion du centenaire de sa mort, élargit le propos et nous découvrons une artiste aux multiples talents et une femme moderne, indépendante, libre, courageuse et engagée. Quand même ! était sa devise.
Enfant illégitime née en 1844, délaissée par sa mère, Sarah passe quelques années au couvent avant de rejoindre Paris à la fin des années 1850 et devenir selon une « tradition » familiale, une demi-mondaine. L’un de ses protecteurs, le Duc de Morny, la fait entrer au Conservatoire avant son engagement, à l’âge de dix-huit ans, à la Comédie Française en 1862 dont elle sera exclue un an plus tard, victime de son caractère colérique et révolté. Elle y reviendra dix ans plus tard, par la grande porte. A vingt ans, elle devient mère. Son amant, le Prince de Ligne, ne reconnait pas son fils Maurice. Sarah l’élèvera seule.
Les années 1870 abriteront sa vie au milieu des artistes. Ses plus beaux portraits seront réalisés par ceux qui l’aiment et deviendront ses amis pour la vie, Georges Clairin et Louise Abbéma. Leur fréquentation, mais aussi celle de Gustave Doré, Alfred Stevens, ou Jules Bastien-Lepage conforte sa tentation à s’essayer elle-même à la peinture et à la sculpture. Et c’est l’une des grandes révélations de cette exposition que de découvrir les portraits et ses sculptures réalisés par Sarah, mis en scène dans la reconstitution de son atelier-salon où le Tout-Paris du Second Empire venait admirer ses œuvres. Nous traversons ensuite les décors des différents hôtels particuliers où elle a vécu dans le quartier alors à la mode la Plaine Monceau.
Nous sommes stupéfaits par ses goûts pour les animaux exotiques (alligators, lions ou léopards) ou étranges (dont les chauve-souris) qu’elle collectionne empaillés ou sculptés, ce qui n’exclura pas qu’elle élève chez elle chiens, tortues, caméléon, singe ou perroquet…. On constate également son inclination pour le morbide, en particulier pour les têtes de mort ou les cercueils. Scandaleuse ? Provocatrice ?
L’exposition retrace bien entendu la carrière de « La Divine ». Photos et affiches nous permettent de revisiter ses grands rôles au théâtre. Interprète fétiche de Victor Hugo (Ruy Blas, Hernani…), elle sera également celle de Victorien Sardou (Fédora, Théodora, la Tosca, Gismonda). Son répertoire inclue de grands classiques (Phèdre) et d’autres auteurs contemporains, tel Alexandre Dumas fils, pour La Dame aux Camélias. On la remarque dans des rôles de travestis, tels Hamlet, Lorenzaccio ou L’Aiglon. Cette confusion du « genre » si moderne aujourd’hui était fréquente au théâtre depuis le XIXème siècle. La taille filiforme, le physique androgyne de Sarah aidaient à l’exercice. Et on peut aisément imaginer que cette transgression, cette ambiguïté n’étaient pas pour lui déplaire.
Son sens du « marketing » et son talent de femme d’affaire sont indéniables. Quelle meilleure garantie pour assurer les bonnes conditions de ses spectacles que d’être à la tête du lieu de ses représentations ? Ainsi va-t-elle successivement diriger le Théâtre de la Porte Saint Martin, le Théâtre de la Renaissance puis le Théâtre des Nations, futur Théâtre Sarah Bernhardt, actuellement Théâtre de la Ville…
Peut-on dire que Sarah Bernhardt est la première influenceuse ? Elle a indéniablement le sens de la communication pour forger son image de star. Elle comprend vite l’importance de la publicité et saura commander à un jeune peintre pragois, Mucha, dont elle flaire tout de suite le talent, des affiches au format nouveau pour nombre de ses spectacles (Médée, Lorenzaccio, la Tosca….). Elle comprend également l’intérêt de prêter son nom et ses traits à des marques de savon, de biscuits et même de sardines ! Elle aime « faire le buzz » en utilisant la presse mais aussi mettre en scène sa voix et son image grâce à la photographie et au phonographe, ancêtre du magnétophone, qui vont pérenniser ce que le théâtre, art éphémère, ne peut faire. Elle jouera dans une dizaine de films de cinéma encore muet.
Paradoxalement son physique n’est pas à la mode lorsqu’elle débute, trop maigre selon les critères de l’époque. Dumas l’avait agréablement réduite à une « tête de vierge sur un corps de de balai », d’autres la surnommaient le « Squelette ». Mais elle va imposer sa silhouette et rapidement créer un style, son style : « Sarah réalisa entre son corps et les costumes une véritable fusion » affirme le journal L’illustré en 1892. Costumes de scène et costumes de ville, ses garde-robes vont suivre les tendances du moment tout en s’en affranchissant par l’ajout de ses touches personnelles. Photos et tableaux témoignent dans l’exposition de l’importance de ses tenues, de ses accessoires et de ses bijoux.
Sarah vit entourée d’une cour dont fait partie sa lignée. Elle a un véritable esprit de famille, qui malheureusement lui procurera aussi de grands chagrins : ses demi-soeurs vont chacune succomber aux ravages de la drogue et son fils, infatigable joueur, sera toujours à sa charge même lorsqu’il sera père de famille. Ses récompenses sont ses deux petites filles adorées, Simone et Lysiane. Grande séductrice, collectionneuse d’amants, Sarah a également des amitiés féminines. Peu d’hommes lui résistent : auteurs, acteurs, peintres….Comme l’écrit la biographe Claudette Joannis. » Il n’est pas toujours facile de saisir dans sa vie amoureuse la part du coeur et celle de l’ambition ou de la vanité« .
La notoriété de Sarah a traversé les frontières grâce à ses très nombreuses tournées sur les cinq continents. « J’ai traversé les océans emportant mon rêve d’art en moi, et le génie de la nation a triomphé !» a-t-elle déclaré au Figaro le 9 décembre 1896. Une cinquantaine de tournées aux Etats-Unis mais aussi la Russie, la Scandinavie, l’Angleterre, l’Italie, l’Égypte, la Turquie, l’Australie….Sarah Bernhardt sera non seulement l’ambassadrice du théâtre français à l’étranger, mais aussi celle de la mode et du luxe hexagonaux.
« Personnage fabuleux, légendaire. Incomparable actrice absolument géniale. Je dirais même plus, géniale à volonté », s’est exclamé son ami Sacha Guitry. Mais aussi une femme engagée dans son siècle : entre autres, elle apportera son soutien aux poilus pendant la guerre 14-18 et prendra position pour le Capitaine Dreyfuss pendant « l’Affaire », s’opposant sur ce point à son fils et à de nombreux amis. Ce choix était-il en relation avec les origines juives de sa mère ? C’est une question qui n’est jamais abordée dans l’exposition. Baptisée, Sarah recevra l’extrême onction à sa mort. Mais pour les antisémites, Sarah était juive comme en attestent d’épouvantables caricatures présentées au Petit Palais.
L’exposition se termine par l’évocation de Belle-Île-en-Mer où la comédienne a fait l’acquisition en 1894 d’un ancien fortin désaffecté à la Pointe des Poulains où elle aimait passer une partie de l’été avec son fils, ses petites filles et de nombreux amis. « J’aime venir chaque année dans cette île pittoresque, goûter tout le charme de sa beauté sauvage et grandiose. J’y puise sous son ciel vivifiant et reposant de nouvelles forces artistiques » écrit-elle en 1905.
Le 26 mars1923, elle meurt à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Le 29 mars une foule immense l’accompagne jusqu’au cimetière du Père Lachaise. Rideau.
Sarah Bernhardt Et la femme créa la star Petit Palais jusqu’au 27 août 2023 petitpalais.paris.fr