OLGA DE AMARAL

Olga de Amaral dans son studio en 2005

Si vous deviez choisir parmi toutes les magnifiques expositions du moment, dirigez-vous toutes affaires cessantes à la Fondation Cartier, boulevard Raspail à Paris, pour découvrir la superbe proposition autour de l’artiste colombienne Olga de Amaral.

© Cyril Marcilhacy

J’avoue n’avoir jamais entendu parler de cette artiste jusqu’à ce que des commentaires éblouis sur les réseaux sociaux ou ceux de voix amies me portent jusqu’à cette visite enchanteresse. Le fait d’avoir un regard pur, une approche uniquement sensorielle pour appréhender l’exposition était très jouissive. Le soleil de ce dimanche matin d’hiver, les feuilles vertes des arbres visibles par les grandes baies vitrées de la Fondation Cartier ont ajouté du plaisir à cette découverte.

©Cyril Marcilhacy

J’apprends vite par les cartels et le document d’aide à la visite qu’Olga de Amaral est née à Bogota en 1932, qu’elle a été formée dans les années 1950 à l’architecture en Colombie puis à l’académie de Cranbrook aux Etats-Unis où elle est sensibilisée aux influences du mouvement Bauhaus. Elle découvre alors le design textile et la technique du tissage et contribue dans les années 1960 et 1970 au développement du Fiber Art, mouvement auquel appartiennent des artistes telles Anni Albers, Sheila Hicks ou Magdalena Abakanowicz.

© MARC DOMAGE

Les deux salles du rez-de-chaussée sont éblouissantes. La première, intitulée « Tisser le paysage » présente des panneaux monumentaux réalisés principalement en laine et crin de cheval. On est happé par cet espace inédit, par ces tableaux abstraits conçus dans des matières inhabituelles et presque rassurantes, par l’intelligence de la mise en espace que l’on doit à l’architecte franco-libanise Lina Ghotmeh. La présence minérale de grosses pierres d’ardoise contribue à dessiner le paysage qu’évoque les murs tissés.

©Cyril Marcilhacy

La seconde salle du rez-de-chaussée nous enveloppe et nous trouble. Où sont les limites entre l’intérieur et l’extérieur ? La scénographie mêle l’architecture du bâtiment de Jean Nouvel et celle du jardin conçu par Lothar Baumgarten aux œuvres d’Olga de Amaral, les Brumas (Brume), série initiée en 2013. Les vingt-trois pièces présentées sont constituées de milliers de fils de coton enduits de gesso et recouverts de peinture acrylique. Je lis qu’« elles apparaissent comme des représentations métaphoriques de l’air et de l’eau ». Tissées en trois dimensions, monumentales également, leur aspect aérien est accentué par la transparence des fils et leurs légers balancements. En tournant autour des œuvres, on découvre des motifs peints qui apportent de subtiles touches de couleur à cette traversée. La couleur est l’une des grandes affaires de l’artiste : « Je vis la couleur. Je sais que c’est un langage inconscient et je le comprends. La couleur est comme une amie, elle m’accompagne. » a-t-elle joliment écrit.

© Cyril Marcilhacy

Descendons à l’étage inférieur où se poursuit l’exposition. Les volumes sont différents, l’extérieur ne pénètre plus, la scénographie s’y adapte. Le motif de la spirale est le fil conducteur de cette déambulation où l’on suit petit à petit les explorations artistiques développées par Olga de Amaral depuis cinq décennies. Organisée chronologiquement, cette deuxième partie nous donne quelques clefs pour comprendre les recherches de l’artiste. L’héritage du Bauhaus lui a, entre autres, appris l’abolition de la séparation entre l’artiste et l’artisan. Ainsi affirme-t- elle tout au long de son travail des avancées toujours plus audacieuses en utilisant de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques inspirés par des techniques traditionnelles populaires de son pays qu’elle associe aux dynamiques de l’art abstrait post Seconde Guerre mondiale. Et elle s’adjoint la collaboration de plusieurs artisanes colombiennes qui l’accompagneront tout au long de son travail.

©Cyril Marcilhacy
© MARC DOMAGE

Deux choses m’ont particulièrement frappée dans cette salle : d’une part la manière dont les œuvres, affleurant le sol ou en suspension, délimitent l’espace et d’autre part, outre l’importance de la couleur et des évolutions techniques, l’apport magnifique qu’apporte la feuille d’or à de nombreuses pièces. Cet élément devient dès le milieu des années 1980 l’un des matériaux de prédilection d’Olga de Amaral qu’elle applique sur les fils de coton ou directement sur la surface d’œuvres rendant le tissu presque invisible. Recherche de la lumière mais aussi connotation sacrée – le doré est celui des autels des églises baroques de Bogota -, autant d’éléments qui indiquent le caractère mystique de ses pièces. La dernière salle consacrée à la série Estrelas, en constitue le point culminant. Ces stèles dorées qui pourraient représenter des menhirs, des totems ou des pierres stellaires évoquent, selon les commissaires de l’exposition, des sculptures funéraires ou votives monumentales des grands sites archéologiques précolombiens.  Sans posséder spontanément ces références, nous sommes saisis par l’émotion voire le recueillement.

© MARC DOMAGE

Olga de Amaral, artiste dont la renommée internationale n’est plus à faire, voit avec cette première grande rétrospective en France, une reconnaissance publique évidente. En témoigne le succès de l’exposition. Il ne faut pas la rater, en prenant la précaution de réserver ses places sous peine de ne pouvoir vivre ce grand moment.

Exposition.

Olga de Amaral.

Jusqu’au 16 mars 2025

Fondation Cartier pour l’art contemporain
261 boulevard Raspail
75014 Paris

https://www.fondationcartier.com

La si belle « Perspective » de Richard Peduzzi

affiche © Philippe Apeloig

J’aime qu’une exposition me raconte une histoire ou me permette d’en imaginer une.

Ainsi la magnifique exposition « Perspective » consacrée à Richard Peduzzi par le Mobilier national dans la Galerie des Gobelins m’a immergée dans une cinquante années de ses réalisations, de 1972 à aujourd’hui, réunissant peintures, dessins, croquis, maquettes de décors, mobilier, luminaires, objets, tapis et tapisseries.

© Simon d’Exéa.

Si le nom de Peduzzi est indissociable de celui de Chéreau pour avoir réalisé tous les décors de ses mises en scène de théâtre et d’opéra, l’exposition permet de prendre la mesure de son œuvre pluridisciplinaire, dans ses intrications et ses prolongements, offrant ainsi une vision globale de son itinéraire artistique.

La déambulation, scénographiée par l’artiste lui-même, non chronologique, m’a invitée à plonger dans son univers, depuis son travail de peintre à celui de décorateur, de concepteur d’espaces muséaux à ses interventions dans des projets architecturaux et à ses créations de mobilier et d’objets.

Richard Peduzzi dans l’exposition « Perspective » © Simon d’Exéa.

D’une enfance normande cabossée entre le Havre et Verneuil-sur-Avre dans l’immédiate après-guerre, Richard cherche sa place, sa voie…Il ignore alors combien les paysages de son enfance resteront à jamais une immense source d’inspiration : « …ce sont toujours les mêmes obsessions : les quais, les bâtiments industriels, les reflets, les palais désaffectés. C’est Le Havre qui me revient par bouffées à chaque fois, cette étrange odeur du Havre et son ciel.[1] » Lorsqu’il arrive à Paris, à l’âge de 16 ans, il est déterminé à devenir peintre et rencontre deux ans plus tard Charles Auffret qui sera son premier « maître ».  Mais l’ambiance de l’atelier lui semble austère, il veut « sentir la vie autour de (lui) ». En 1967, deux rencontres vont faire basculer son destin : celle de son premier amour, Marianne Merleau-Ponty et de sa mère Suzanne, qui vont lui permettre de « changer (sa) ligne d’horizon, (sa) façon de voir et d’appréhender le monde » puis d’un jeune metteur en scène, Patrice Chéreau : « Dès lors, nous ne sommes jamais plus quittés.[2] » Ces « coups de chance », comme il les décrit, ne vont pas s’arrêter là. Sur le plan personnel, il tombe amoureux en 1974 de Pénélope Chauvelot, lorsqu’elle apparait, tel un miracle, sur le port de Portofino. Il la retrouve en 1980, pour le meilleur. Elle est « l’amour de sa vie » et la mère de ses enfants. Au chapitre professionnel, d’autres mondes s’ouvrent en parallèle au théâtre et à l’opéra lorsqu’il se voit confier des conceptions d’espaces comme la bibliothèque-musée de l’Opéra, des expositions à mettre en scène pour le musée d’Orsay ou le Louvre ou autres projets d’architecture et de décoration intérieure. Puis il est appelé en 1992 par Jack Lang pour diriger l’École des arts décoratifs (ENSAD), situation d’autant plus cocasse qu’il avait été recalé à son concours d’entrée bien des années plus tôt ! Après dix années, une nouvelle aventure l’attend : celle de devenir le directeur de la Villa Médicis à Rome où il restera six ans. Et depuis 1988 s’est engagée une collaboration avec le Mobilier national, partenaire de nombre de ses réalisations muséales et pour qui il a conçu une centaine de meubles. Il était donc « naturel et pour ainsi dire nécessaire d’organiser (…) cette exposition « Perspective » qui reflète si fidèlement l’univers polysémique de Richard Peduzzi.[3] » écrit Hervé Lemoine, président du Mobilier national et commissaire général de l’exposition.

© Simon d’Exéa.

« Perspective » se déploie sur les deux niveaux de la Galerie des Gobelins. Offrons-nous le privilège de nous laisser guider par Richard Peduzzi, grâce à un dialogue avec le journaliste Arnaud Laporte[4]« (La Galerie des Gobelins) est un espace tout en longueur, c’est la grande difficulté. (…) L’essentiel étant que les visiteurs disposent de place et de tranquillité pour observer. L’espace se divise en cabinets invisibles qui structurent et concentrent ce que nous voulons montrer. Invisibles car il n’y a pas de cloisonnements entre eux, pas de séparations nettes »

© Simon d’Exéa.

Le rez-de-chaussée de la galerie offre une perspective magnifique. « Dès l’entrée, l’œil est immédiatement attiré par un tapis au fond de la galerie (…). Ce point de fuite est accentué par les cimaises bleues de chaque côté, fixées aux murs et sur lesquelles sont accrochés mes tableaux ».

© Simon d’Exéa.

Aquarelles, dessins et gouaches réalisés pour des décors de mises en scène de Chéreau principalement mais aussi de Luc Bondy ou Clément Hervieu-Léger m’émeuvent particulièrement, me proposant un voyage rétrospectif vers quelques uns des plus beaux spectacles de théâtre et d’opéra : La Dispute (1972), Peer Gynt (1981), Quai Ouest (1986) ou I Am the Wind (2011), L’Éveil du Printemps (2018) pour le théâtre, Le Ring (Bayreuth, 1976), Lulu (1979), Lucio Silla (1984), Wozzeck (1992) Don Giovanni (1992) ou De la maison des morts (2007) pour l’opéra.

« (Les tableaux) entrent en discussion avec les meubles, que ce soit par les couleurs ou les traits (…) », souligne Richard Peduzzi.

Rocking-chair de Richard Peduzzi
photo © Simon d’Exéa.

L’iconique rocking-chair fait d’un seul ruban de bois mélaminé en merisier ou la table Pyramide frôlent des fauteuils et des poufs en velours de couleurs sous des lustres monumentaux. Ces passages, ces dialogues d’un support à un autre, d’un dessin à un décor, d’un décor à un fauteuil que Peduzzi décide de dessiner lui-même, faute de trouver le bon, pour Le Conte d’hiver mis en scène de Luc Bondy  (point de départ de sa conception de meubles pour le Mobilier national), forment toute la richesse de « l’univers foisonnant de Richard Peduzzi où harmonie et dissonance, gravité et légèreté se côtoient » comme l’écrit Alizée David, co-commissaire de l’exposition. « Cet espace du rez-de-chaussée, entièrement bleu, offre une immersion dans mon univers, comme si le visiteur entrait chez moi. »

© Simon d’Exéa.

« Au premier étage de la galerie, une salle conçue comme un cabinet de curiosités présente des maquettes de décors de théâtre et d’opéra. » L’histoire que je suis venue chercher ici (et à laquelle j’ai très modestement participé lors de mes années d’attachée de presse du théâtre de Nanterre-Amandiers sous la direction de Patrice Chéreau et Catherine Tasca) est également racontée dans une formidable archive INA d’un documentaire d’Arnaud Sélignac (L’Envers du théâtre -1986) où l’on assiste à un dialogue entre Richard et Patrice à l’occasion de leur collaboration sur le décor de l’opéra Lucio Silla – La maquette du décor est également visible dans l’exposition – Leurs regards, leurs complicités, leur complémentarité, tout y est.

© Simon d’Exéa.

« Dans la salle suivante, de grands panneaux inclinés de couleurs sont adossés aux murs. On y retrouve d’autres maquettes aux côtés de dessins préparatoires et de peintures qui alimentent mon processus d’imagination dans la conception des décors. » Ce premier étage dévoile des carnets exposés pour la première fois et des croquis de recherche où couleurs et crayonnés montrent le work in progress de meubles.

© Simon d’Exéa.

Une dernière pièce impressionnante présente des tapis de très grands formats reproduisant quelques-uns des tableaux vus au rez-de-chaussée pour des décors. On découvre également des exemples d’aménagements réalisés pour l’Opéra Garnier, Orsay, le Louvre, le Château Mouton Rotschild de Pauillac ou la Scala à Paris.

Laissons le final cut à l’artiste : « Ce n’est pas pour rien que l’exposition n’est pas une rétrospective, C’est vraiment une « perspective », au sens où il faut investir le présent pour vivre intensément. Mais le présent ne dure qu’une seconde…. »

 

Richard Peduzzi. Perspective. Mobilier, décors, dessins

16 oct 2024 -31 déc 2024

Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins 7503 Paris


[1] Percussion, discussion avec Arnaud Laporte, Actes Sud, 2024

[2]  Je l’ai déjà joué demain, Actes Sud, 2021

[3] Catalogue de l’exposition, Actes Sud/Mobilier national, 2024

[4] Percussion, discussion avec Arnaud Laporte, Actes Sud, 2024

 

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