ROUX ! De Jean-Jacques Henner à Sonia Rykiel

Jean-Jacques Henner, La Liseuse, 1883
Huile sur toile, 94 × 123 cm
Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée national Jean-Jacques Henner© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Le roux est il une couleur ? L’exposition qui se poursuit actuellement au Musée Jean-Jacques Henner semble le revendiquer clairement puisqu’elle proclame fièrement son titre : Roux !

«Les lumières jettent sur les chevelures des rousses des reflets d’incendie et fait valoir le grain satiné de la peau. La lueur fauve, couleur d’or, est la plus vivante, la plus vibrante, la plus discrète aussi par conséquent la plus harmonique et la plus belle ». Ainsi s’exprimait avec fouge l’essayiste Henri Roujon au sujet des œuvres de Jean-Jacques Henner.

J’avoue humblement avoir ignoré jusqu’à ce jour l’existence de l’académicien Henri Roujon (1853-1914) qui a pourtant laissé à la postérité, entre autres ouvrages, cinq volumes sur « Les Peintres illustres » !

Jean-Jacques Henner, Andromede, © RMN-Grand Palais / Franck Raux

J’avoue également très peu connaître l’œuvre du peintre Jean-Jacques Henner, hormis quelques toiles vues à Orsay. La visite de cette exposition constitue une très belle surprise. J’ai appris qu’Henner était né en Alsace en 1829 (quelques toiles dans le parcours illustre son attachement à sa terre natale), qu’il fut Prix de Rome en 1858, puis mena à partir des années 1870 la carrière d’un artiste à succès et d’un portraitiste recherché. Le Petit Palais lui a consacré une salle en 1906, un an après sa mort puis sa nièce, Marie Henner, a acquis en 1921 un hôtel particulier au 43 de l’avenue de Villiers pour en faire un musée dédié à l’œuvre de son oncle. Elle fit don à l’Etat français de quelques quatre cent quatre peintures ainsi que des meubles et objets ayant appartenus au peintre. Le musée a ouvert ses portes en 1924. 

Réaménagé et réouvert depuis 2016, il met en valeur trois cent oeuvres, objets et documents qui retracent la vie et le parcours artistique de Jean-Jacques Henner.

Jean-Jacques Henner La Comtesse Kessler, vers 1886 Huile sur toile, 109 × 69,5 cm
© RMN-Grand Palais / Franck Raux

Ce qui m’a encouragé à pousser les portes de ce joli hôtel particulier niché au coeur du 17ème arrondissement, n’est pas la notoriété du peintre mais le sujet de l’exposition. Roux ! Voilà une bonne idée. Mais pourquoi ici ? 

Jean-Jacques HennerHérodiade, vers 1887Huile sur carton collé sur toile, 109 × 68,5 cm© RMN-Grand Palais / Franck Raux

La réponse s’égrène tout au long de la visite, belle occasion de découvrir les trois niveaux de la maison sur lesquels sont déployées les rousseurs du peintre et plus. Jean-Jacques Henner était un admirateur de cette couleur, le roux, qu’il utilisera tout au long de sa carrière, constituant ainsi sa signature, sa singularité parmi les artistes de son temps. D’autres pourtant, dont Renoir, Manet, Degas ou Toulouse Lautrec ont aimé peindre des chevelures rousses. En témoignent quelques toiles de ses contemporains dont Jules Cheret, Carolus-Duran ou Edgar Maxence exposées dans le parcours. Mais chez Henner, le roux est une véritable couleur qu’il utilise éventuellement sur toute la toile ou seulement pour les cheveux, faisant ainsi ressortir la pâleur de la peau ou la force du regard de ses modèles. Idylle, Hérodiade, Andromèdela Comtesse Kessler, La Liseuse sont parmi ses toiles qui ont retenu notre attention. La présentation de sanguines dans un petit cabinet du deuxième étage ou ses croquis et esquisses accrochés dans le magnifique atelier du dernier niveau mettent encore plus en valeur sa couleur de prédilection. Sujets mythologiques, portraits nus ou pas, sensualité des corps laiteux, intriguant Christ roux… autant de découvertes qui aident à révéler la personnalité attachante et le talent de ce peintre.

Jean-Paul Gaultier, création spéciale pour Sonia Rykiel,  2008, collection privée (c) Jean-Paul Gaultier

L’exposition ne se contente pas de nous faire découvrir l’artiste. Elle sociologise le sujet par plusieurs entrées. D’une part en mettant en regard Henner avec le travail d’artistes actuels, telle la photographe Geneviève Boutry, d’autre part en parsemant le parcours de citations sur l’ambivalence de cette couleur en pointant les préjugés qu’elle a pu inspirer (« couleur des démons, du renard, de la fausseté et de la trahison », Michel Pastoureau), ses multiples représentations depuis la culture extra- européenne, témoins de très beaux masques de Papouasie Nouvelle Guinée, à la littérature enfantine avec Poil de Carotte ou Spirou; enfin, c’est en rappelant la revendication du roux par Sonia Rykiel et des créateurs de mode tels Jean-Charles de Castelbajac, Jean-Paul Gaultier ou Martin Margiela qui lui ont rendu hommage, que l’actualité de cette couleur éclate. Sonia Rykiel rousse comme il n’est pas permis avait fait de cette différence un pouvoir. Le pont est établi entre l’oeuvre de Jean-Jacques Henner, la modernité et la permanence de la rousseur.

Roux! De Jean-Jacques Henner à Sonia Rykiel
jusqu’au  20 mai 2019
Musée national Jean-Jacques Henner
43 avenue de Villiers 75017 Paris           musee-henner.fr
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Corinne Bacharach

Corinne Bacharach a accompagné de nombreux événements culturels du côté du théâtre, du cinéma, de l’édition et des musées, au sein d’institutions ou, entre 1989 et 1993, dans le cadre de son agence de presse et relations publiques CB/ C, Corinne Bacharach Conseil. Chargée de l’ouverture du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) en novembre 1998, elle est devenue, en 2000, responsable de son auditorium et de la communication, fonctions qu’elle a occupées jusqu’en juillet 2017. Elle a depuis créé le blog corinneb.net Elle est l’auteure de la biographie "Margot Capelier, La Reine du casting" (Actes-Sud/Institut Lumière, 2022)

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